ZES, un levier stratégique pour la relance industrielle

ZES, un levier stratégique pour la relance industrielle

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Dans un contexte de redéploiement stratégique des économies en quête de nouvelles performances industrielles, les zones économiques spéciales (ZES) apparaissent comme des dispositifs-clés, à même de favoriser l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales.

Pour Younès Bahri, spé­cialiste en management des organisations et en gestion opérationnelle des entreprises, ces zones ainsi que les clus­ters industriels repré­sentent aujourd’hui des outils incontournables de structura­tion des écosystèmes économiques, de captation des investissements directs étrangers (IDE) et de soutien aux petites et moyennes entreprises (PME). Néanmoins, leur efficacité suppose la mise en place d’un cadre réglementaire spécifique, encore inexistant à ce jour en Algérie.

LES ZES, DES INSTRUMENTS DE COMPÉTITIVITÉ À FORT POTENTIEL

Les zones économiques spéciales se définissent comme des espaces délimités bénéficiant de régimes économiques dérogatoires au droit commun. Enclaves fiscales et admi­nistratives, elles offrent des incita­tions significatives, telles que des exonérations douanières, des avan­tages fiscaux ou encore des procé­dures simplifiées, ce qui en fait des vecteurs privilégiés de dynamisation de l’économie.

Selon Younès Bahri, «les ZES englobent plusieurs catégories de zones, mais leur objectif commun reste de stimuler un écosystème favorable à une croissance écono­mique durable, reposant principale­ment sur les potentialités locales». Il précise que ces dispositifs, tout comme les clusters, sont avant tout des leviers de captation d’IDE, parti­culièrement précieux à l’heure où l’Algérie ambitionne de repositionner son partenariat multilatéral, notamment avec l’Union européen­ne.

LES ZES POUR INTÉGRER L’ALGÉRIE DANS LA CHAÎNE DES VALEURS INTERNATIONALES

La révision en cours de l’Accord d’association UE-Algérie s’inscrit, d’ailleurs, dans cette dynamique de renforcement du rôle de l’Algérie sur la scène commerciale internatio­nale. À ce titre, explique l’expert, les ZES constituent un mécanisme stra­tégique pour accompagner l’intégration du pays dans les chaînes de valeur internationales, en facilitant l’accès à des marchés plus larges, en particulier en Afrique via la Zlecaf.

En permettant aux entreprises de bénéficier de conditions optimales pour leur développement, les ZES sont aussi appelées à soutenir les PME algériennes qui, jusqu’ici, res­tent marginales dans les échanges extérieurs. «Leur contribution aux exportations ne dépasse pas les 10%, ce qui révèle un déficit d’interconnexion industrielle et une absence d’écosystèmes structurés capables de porter leur croissance», analyse Younès Bahri.

DES CONTRAINTES PERSISTANTES MALGRÉ LES RÉFORMES

Malgré la volonté affichée par les autorités incarnée notamment par la promulgation, en 2022, de la nouvel­le loi sur l’investissement et le ren­forcement du rôle de l’AAPI, les obstacles demeurent nombreux. L’environnement des affaires reste peu incitatif pour les initiatives pri­vées, avec un secteur public toujours prédominant et représentant plus de 40% du PIB.

À cela s’ajoute la faible mobili­sation de la recherche et du dévelop­pement, domaine auquel l’Algérie consacre moins de 0,5% de son PIB, loin derrière des pays comme la Turquie et l’Espagne. «Or, sans investissement dans la R&D, l’innovation est difficile, et avec elle la montée en gamme des industries», insiste Younès Bahri.

Il souligne également la frag­mentation des zones industrielles existantes, dans lesquelles les entre­prises opèrent souvent de manière isolée, sans synergie entre elles, sans mutualisation des ressources ni cir­culation fluide de l’innovation. C’est précisément dans ce contexte que les ZES et les clusters peuvent jouer un rôle catalyseur, en reconfigurant ces espaces industriels pour les transfor­mer en écosystèmes dynamiques.

«LES CLUSTERS RENFORCENT LA COMPÉTITIVITÉ»

Les clusters, ou pôles industriels, se présentent comme des concentra­tions géographiques d’entreprises et d’acteurs académiques et scienti­fiques spécialisés dans une filière donnée. Younès Bahri insiste sur le fait qu’ils doivent être considérés comme des points d’ancrage essen­tiels pour les ZES: «Les clusters renforcent la compétitivité en créant des écosystèmes interconnectés, sources d’innovation, de transfert de technologies et de montée en com­pétences».

À moyen terme, certains clusters pourraient devenir de véritables plateformes d’exportation hors hydro­carbures, en s’alignant sur les chaînes de production européennes et mondiales. La révision en cours de l’Accord UE-Algérie constitue ici une opportunité pour orienter les IDE vers des filières stratégiques. Par ailleurs, l’intégration des clus­ters dans la ZLECAF pourrait per­mettre à l’Algérie de devenir un acteur régional incontournable, en s’imposant comme un hub entre les marchés européen, africain et moyen-oriental.

UNE STRUCTURATION ENCORE BALBUTIANTE

Si l’Algérie compte aujourd’hui une dizaine de clusters actifs, ceux-ci restent encore embryonnaires et très sectorialisés. «La plupart des clusters existants ont été créés pour porter la voix d’une filière, comme le cluster boisson ou encore le CIEL, qui regroupe plus de 250 profession­nels du secteur électrique», note Younès Bahri. Le Green Energy Cluster, spécialisé dans les énergies renouvelables, s’impose, quant à lui, comme un acteur de référence en matière de transition énergétique. D’autres, comme le Annaba Innovation Center, adoptent une approche plus transversale, tournée vers l’innovation et l’inter-sectorialité. «Malgré ces avancées, ces initia­tives restent fragmentées. Il leur manque une structuration plus claire et un cadre d’action cohérent», observe l’expert.

Actuellement, aucun texte légis­latif spécifique ne définit le statut des clusters en Algérie. Ils opèrent comme des groupements d’entreprises, dotés d’un registre de com­merce et soumis à la réglementation générale du commerce. Pour Younès Bahri, il est urgent de pallier ce vide. «Il serait judicieux d’établir un sys­tème de labellisation, comme pour les start-up ou les incubateurs, per­mettant d’identifier les clusters réel­lement performants et porteurs».

INTÉGRER LA QUESTION DES CLUSTERS DANS LE DÉBAT SUR LES ZES

Il plaide également pour l’instauration de conditions préférentielles pour les clusters qualifiés, notam­ment en matière de gouvernance, avec une priorité accordée au parte­nariat public-privé. «C’est en défi­nissant des modèles de collaboration pérennes entre les entreprises, les institutions et les chercheurs que nous pourrons espérer structurer des écosystèmes industriels efficaces», ajoute-t-il.

Concernant les zones écono­miques spéciales, l’expert rappelle qu’elles ne disposent pas non plus, à l’heure actuelle, d’un statut propre. Elles sont assimilées aux zones franches, telles que définies par la loi n° 22-15 du 20 juillet 2022. «Le débat actuel sur la transformation des zones franches en ZES doit impérativement intégrer la question des clusters, pour faire émerger de véritables centres névralgiques industriels», insiste Younès Bahri.

À ses yeux, seule une articulation intelligente entre ZES, clusters, inci­tations à l’investissement et soutien à l’innovation permettra à l’Algérie de renforcer sa compétitivité, de diversifier son économie et se proje­ter de manière durable sur les mar­chés internationaux.

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