Zones franches africaines: faut-il renoncer aux rentrées fiscales pour industrialiser et créer des emplois?

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Les premières zones économiques spéciales (ZES) et les zones franches ont été mises en place en Afrique, à partir des années 70, suite à leur succès dans nombreux pays asiatiques où elles avaient facilité l’industrialisation.

Cette stratégie a connu un regain d’intérêt en Afrique, au cours des dernières années. D’après l’Organisation internationale du travail (OIT), on dénombrait en 1997, seulement 47 zones franches sur l’ensemble du continent africain. Aujourd’hui, on dénombre plus de 200 zones économiques spéciales et zones franches, à travers le continent, selon l’Organisation africaine des zones franches (AFZO).

En 2011, le Gabon a inauguré la Zone économique spéciale de Nkok, s’étalant sur 1390 hectares, à 27 km de Libreville. Coût global de la réalisation des travaux : 425 millions $.

La même année, le Maroc a mis en place la Midparc, une zone franche s’étendant sur 124,4 ha, non loin de l’aéroport de Casablanca.

En 2013, c’est l’Ethiopie qui annonçait l’ouverture de la Bole Lemi Industrial Zone, sa toute première ZES s’étalant sur 156 ha près d’Addis-Abeba, pour un coût de 49 millions $.

L’année dernière, Djibouti lançait sa zone franche internationale (DIFTZ) considérée comme la plus grande d’Afrique. Sa construction, prévue pour s’étaler sur 10 ans, devrait couvrir une superficie de 4800 hectares, pour un investissement total estimé à 3,5 milliards $.

Les prochaines années devraient aussi voir arriver de nouvelles ZES et zones franches, spécialisées parfois dans le secteur agricole, manufacturier ou même des télécommunications. En juin dernier, par exemple, le gouvernement égyptien annonçait qu’il construirait six nouvelles zones franches dans le pays, d’ici à la fin de l’année 2020.

En Ouganda, le gouvernement compte construire au cours des prochaines années une zone franche agricole s’étendant sur 2500 hectares et une autre à l’aéroport international d’Entebbe.

Grâce notamment aux avantages fiscaux qu’elles offrent, ces structures attirent des entreprises internationales qui cherchent à s’étendre dans de nombreux pays. De ce fait, l’introduction sur les marchés africains de ces nouveaux acteurs augmente la production nationale et la diversifie tout en ayant un impact majeur sur la réduction du chômage, surtout dans les secteurs manufacturier et agricole.

A Djibouti, par exemple, un rapport du FDI Intelligence estime que la seule phase pilote de la DIFTZ a permis d’augmenter le PIB du pays de 11%. Au cours des 10 prochaines années, la zone devrait générer plus de 350 000 emplois. Un véritable coup d’arrêt à l’évolution du taux de chômage qui avait atteint 39% en 2015, dans un pays qui compte à peine 1 million d’habitants.

Le rapport indique également qu’au Gabon, la ZES de  Nkok génère actuellement près de 5000 emplois directs et autant d’emplois indirects. La zone représente 38% du total des conteneurs exportés du pays et a connu des flux cumulés d’IDE de près de 1,7 milliard de dollars.

Au Maroc, la zone franche Tanger Med, située au sein du complexe portuaire de Tanger, le plus important d’Afrique, a permis au pays d’attirer plus de 900 entreprises multinationales, de plus de 30 nationalités différentes. Dans un pays comptant plus de 36 millions d’habitants avec un taux de chômage des jeunes, estimé à plus de 25%, plus de 90 000 emplois ont été créés grâce à cette structure. En attirant des poids lourds du secteur automobile, tels que les français Renault et PSA, le pays d’Afrique du Nord a réussi à devenir, en quelques années, l’un des principaux hubs du secteur, sur le continent. D’après FDI Intelligence, Tanger Med accueille une usine de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, qui est la plus grande usine automobile d’Afrique, avec une capacité de production totale de 450 000 voitures par an.

Si elles ont l’avantage d’attirer de nombreuses entreprises étrangères dans les pays où elles sont mises en place, et de créer de nombreux emplois, les zones franches constituent également une importante perte de recettes fiscales pour les Etats. Alors que les pays africains sont appelés à améliorer la collecte de leurs recettes fiscales pour réaliser les investissements nécessaires à la réduction de la pauvreté sur le continent, de nombreuses organisations dénoncent cette situation.

Au Maroc, par exemple, l’ONG Oxfam indiquait dans un rapport paru en début d’année, que les incitations fiscales pratiquées dans les zones franches en faveur des multinationales, faisaient perdre d’énormes ressources financières au pays. De ce fait, une grande partie de l’activité économique échappe à l’impôt sur les sociétés contribuant ainsi à accentuer les inégalités dans le pays.

Grâce aux zones franches et offshores créées dans le pays, les entreprises dont une grande partie vient de l’étranger, bénéficient d’une exonération de l’impôt sur les sociétés pendant les cinq premières années d’exercice, et le taux n’est que de 8,75%, les vingt années suivantes.

«Des  multinationales  étrangères  bénéficient  de  cet  avantage fiscal.  La  contrepartie  demandée  par  l’Etat  marocain  est  la  création d’emplois, Renault en aurait créé environ 10 000, mais à quel prix! L’automobile  est  devenue,  en  quelques  années,  le premier secteur exportateur, devant les phosphates, et l’Etat ne reçoit quasiment aucune entrée fiscale directe de ce secteur», indique l’ONG.

Des  chercheurs  du réseau Tax Justice Network  ont  estimé  à  24,5  milliards de dirhams (2,5 milliards $) par an les pertes fiscales subies par le Maroc, rien que par le fait des pratiques fiscales des multinationales. D’après Oxfam, cela  représente 2,34% du PIB soit l’équivalent de 40 centres hospitaliers.

Cette inaction du gouvernement pour réduire l’ampleur du phénomène a d’ailleurs poussé l’Union européenne à placer le royaume chérifien sur sa liste grise des paradis fiscaux. Un cas qui pourrait rappeler celui de l’île Maurice, qui a développé son secteur industriel grâce aux nombreuses exonérations fiscales pratiquées dans ses zones franches, et qui figurait encore, jusqu’au 10 octobre dernier, sur la liste grise européenne des paradis fiscaux.

Les exemples de pays comme le Maroc ou l’île Maurice illustrent le potentiel significatif qu’offrent les zones franches en matière d’industrialisation. Cependant, les échecs de pays comme le Sénégal avec la zone franche de Mbao, ou les difficultés éprouvées par le Togo à atteindre les 100 000 emplois prévus dans le cadre de sa zone franche lancée en 1990, montrent que les pays africains sont encore loin d’avoir trouvé la bonne formule pour faire décoller leurs industries.

Pour certains experts, cette situation est due au manque de spécialisation des premières zones franches mises en place sur le continent africain. Pour d’autres, tels que Arkebe Oqubay, conseiller spécial du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, ces échecs sont dus au fait que ces zones «ne disposaient pas de services de base tels que l’électricité, l’eau et les services à guichet unique, et n’étaient pas alignées sur la stratégie de développement national». Des lacunes que pourraient être comblées avec l’appui de pays tels que la Chine, la Corée du Sud ou encore les Emirats arabes unis, qui investissent de plus en plus, en Afrique, dans la construction de zones franches, de parcs industriels et de zones économiques spéciales plus performantes et mieux positionnées.

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